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HÉCATOMBE DANS LES RUCHES DE RUSSIE
Publié le 1 août 2019 13:07:00
Article publié sur Capital le 1/08
Anatoli Roubtsov jette un regard de dépit sur ses ruches. "L'exploitation était bruyante, ça chantait", se remémore-t-il. Désormais, un léger bourdonnement se fait à peine entendre et une odeur de chair pourrie flotte dans l'air.
Cet apiculteur de la région de Toula, au sud de Moscou, explique que la quasi totalité de ses plus de 80 colonies est morte cette année, victime selon lui d'un pesticide. Cela représente plus de trois millions d'abeilles et il estime ses pertes à 1,6 million de roubles (22.700 euros).
Autour de Bobrovka, où est installé Anatoli Roubtsov, toutes les abeilles ont connu le même sort. Plus de 60 apiculteurs ont entamé un combat difficile pour obtenir des compensations mais certains ont fini par jeter l'éponge.
Selon l'association nationale d'apiculture, Toula est l'une des 30 régions de Russie touchées ces dernières semaines par une hécatombe des abeilles, déjà observée dans de nombreux pays.
Le ministère de l'Agriculture reconnaît que les morts ont causé "un dommage considérable" à l'apiculture: 300.000 colonies sur 3,3 millions ont péri dans le pays.
Les autorités sanitaires russes reconnaissent que la mort des abeilles était due à un usage incontrôlé d'insecticides. "Le volume de pesticides utilisé et leur qualité n'est pas contrôlé par le gouvernement", a déclaré ce mois-ci une porte parole de Rosselkhoznadzor aux agences de presse russes, Ioulia Melano.
A Bobrovka, tout le monde accuse un producteur de colza qui a traité ses champs avec un insecticide très puissant contenant du fipronil le 4 juillet. L'entreprise incriminée a assuré à l'AFP avoir suivi toutes les instructions.
"Le colza en fleur présente un grand attrait pour les abeilles. Pour elle, c'était comme un guet-apens", affirme M. Roubtsov tandis que dans ses ruches, quelques abeilles rampent chaotiquement, incapables de voler. "Ce sont des mortes-vivantes. L'ensemble de l'exploitation est condamnée".
- Pesticides en cause -
Considéré par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) comme présentant" un risque aigu élevé pour la survie des abeilles, l'usage du fipronil est très réglementé dans l'Union européenne depuis 2013, encore plus depuis qu'un scandale d'oeufs contaminés au fipronil a éclaté aux Pays-Bas et en Belgique en 2017.
En Russie, le fipronil, comme d'autres insecticides utilisant des néonicotinoïdes et interdits en Europe, est autorisé. Il peut être répandu sur les cultures de céréales, de pommes de terre et dans les pâturages mais seulement de nuit, en absence de vent et à condition d'éloigner les abeilles durant plusieurs jours.
Des conditions qu'ignorent allègrement les producteurs de colza, assurent les apiculteurs interrogés par l'AFP. Ceux-ci notent avec amertume que l'Europe produit du biodiesel, supposément plus écologique, avec du colza russe poussant grâce à des insecticides toxiques.
"Le colza est devenu très répandu dans toute la région", explique Viktor Morozov, un apiculteur ayant perdu 50 colonies d'abeilles en juillet, la plus grave hécatombe qu'il ait connue en 40 ans de métier.
Tandis que la culture du colza baisse dans l'Union européenne, elle a plus que doublé en Russie sur la dernière décennie. Depuis 2018, elle est encore passé de 1.576 à 1.680 hectares, selon les estimations officielles.
Or, les producteurs se tourneraient vers des insecticides plus puissants, parfois illégaux, à mesure que les insectes nuisibles gagnent en résistance.
- "Aucune aide" -
"Le colza est très demandé. Les insecticides sont chers et parfois, ils les diluent avec des produits toxiques à bas coût et ignorent les règles d'application", explique à l'AFP Anna Brandorf, qui dirige le centre national russe de recherche sur l'apiculture.
"Personne ne contrôle cela", ajoute-t-elle. "Et personne ne coordonne l'action des apiculteurs et des agriculteurs".
Selon Anna Bradorf, beaucoup d'apiculteurs risquent d'abandonner leur activité à l'heure où la Russie, comme la Chine ou de nombreux pays européens avant elle, est touchée à son tour par une hécatombe des abeilles.
La différence est qu'en Russie, les apiculteurs ne reçoivent aucune aide gouvernementale, ajoute-t-elle.
Sur son téléphone, Viktor Morozov montre des photos prises à proximité des champs de colza des environs: des boites vides de fipronil sont posées à même le sol. Mais quand il a contacté les agriculteurs locaux, ils ont nié en avoir fait usage.
Un laboratoire de Moscou a bien confirmé que les plants de colza contenaient du fipronil.
Aller en justice pour obtenir réparation a un coût que la plupart des apiculteurs ne peuvent assumer.
"Les pesticides interdits en Europe ont tous été envoyés ici en Russie", dénonce Viktor Morozov, "quelqu'un doit en prendre la responsabilité".